“Barbe-Bleue”, une pièce de Pina Bausch très attendue au Théâtre du Châtelet
Barbe-Bleue de Pina Bausch (1940-2009) a été créée en 1977 et présentée au Théâtre de la Ville en 1979, lieu qui par la suite a accueilli toutes ses pièces à guichets fermés. La chorégraphe, phénomène de la danse contemporaine, a décloisonné danse et théâtre et renouvelé les arts de la scène.
Barbe-Bleue est à l’affiche du Théâtre du Châtelet en partenariat avec le Théâtre de la Ville de Paris jusqu’au 2 juillet. C’est un des événements de la fin de saison. La pièce vient d’entrer au répertoire de la troupe du Tanztheater Wuppertal Pina Bausch.
Barbe-Bleue dont le sous-titre est En écoutant un enregistrement sur bande magnétique de l’opéra de Béla Bartók “Le Château de Barbe-Bleue” a comme bande-son l’œuvre de Bartók. En conflit avec l’Orchestre du Théâtre de Wuppertal, Pina Bausch l’a remplacé par un magnétophone sur roulettes.
Les relations femmes-hommes
Des feuilles mortes jonchent le sol du plateau du Châtelet. Le décor dépouillé représente une grande pièce d’un château. Un câble en traversée oblique est relié au magnétophone, dispositif sonore et scénique qui sera déplacé tout au long de la pièce. Barbe-Bleue (Michael Carter) et sa nouvelle épouse Judith (Tsai Wei Tien) entrent en scène dans la semi-obscurité. La tension est déjà perceptible. Ils se rapprochent pour se séparer. Frénétiquement, Barbe-Bleue rejoint le magnétophone pour rembobiner les extraits avec les voix chantées. Judith allongée au sol se déplace lentement. Barbe-Bleue se met sur elle. Le couple devient un duo rampant sans harmonie. Barbe-Bleue se relève pour des retours musicaux. Judith porte une robe à dos nu. Elle évolue sur l’espace scénique par des arabesques, de l’élan et se confronte à son partenaire, aux murs. Par sa chevelure, elle dissimule souvent son visage – on pense à Magritte. Elle reste combative et se relève dès que Barbe-Bleue la repousse vers le bas dans une gestuelle mécanique.
La pièce traite des relations femmes-hommes, des tourments de l’amour et de l’impossible communication. Les personnages sont fragilisés, au bord de l’abîme. Des tableaux de groupes proposent des vies en parallèle avec les mêmes mouvements brusques. Les interprètes sont confinés dans les rôles sexués. La chevelure est très présente, il y a un côté maniaque. Les danseuses câlines et attentionnées entourent Barbe-Bleue. Celui-ci est constamment dans la manipulation du magnétophone. La situation bascule rapidement, les cheveux des danseuses le fouettent.
Des rôles de séduction assignés
Dans cette pièce, l’ambiguïté est reine avec une dimension surréaliste. Le procédé des répétitions ouvre la danse à de multiples variantes. Un même motif est repris en rôles inversés. Des moments de tendresse réconcilient les couples mais la volonté de domination écrase tout. Sur une chaise, Barbe-Bleue s’assoit sur Judith, elle glisse sur le côté. La même scène recommence avec d’autres duos. L’effervescence anime le plateau, une vingtaine de danseuses et danseurs aux gestes théâtralisés apparaissent, courent, sortent, reviennent. Dans la foule, Judith apparaît absorbée par ses pensées.
La pièce est aussi une dénonciation de la dictature des apparences et des rôles de séduction assignés. Une danseuse reste figée dans des sourires répétitifs comme dans l’attente d’une photo polaroid. À l’avant-scène, les danseurs montrent avec exubérance leurs muscles. Le public rit, il y a des moments amusants avec de l’humour, de l’ironie.
Barbe-Bleue et Judith “dansent” parmi une ribambelle de personnages qui se tiennent par la main. Il la fait tourbillonner, puis anéantit chacun de ses gestes. L’interprète Tsai Wei Tien est lumineuse de talent. Par un effet de truchement – elle ramassait des feuilles mortes, Barbe-Bleue assemble des robes qu’il met sur Judith, n’apparaît plus que sa tête. Elle se déplace de façon contrainte camouflée par un flot de tissus. La poupée secouée s’éteint sous les hurlements de douleur de Barbe-Bleue.
La pièce offre de nombreuses résonances dans l’excès et les confrontations. La répétition est un procédé du langage chorégraphique. Pina Bausch excelle à brouiller les pistes, tout en mettant en éveil les émotions. L’opéra de Bartók contribue à la dramaturgie, ça grince et repart pour des retours incessants. Différentes saynètes racontent l’oppression, les rapports de pouvoir, l’intimité de couples jusqu’au déraillement. Le glamour est détourné avec une richesse des situations. Il y a de nombreux moments décalés mais mûrement réfléchis.
Fatma Alilate
! En raison de cas Covid parmi les danseurs du Tanztheater Wuppertal Pina Bausch, nous sommes dans l’obligation d’annuler les représentations de Barbe-Bleue.
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